Prévenir la fin

L’artiste joue parfois avec l’attente du spectateur, il le fait tourner, l’emmène, dans une danse, là où il y a peut-être fin, là où il n’y en a peut-être pas. Fausse piste de danse. Seule la fin elle-même vient en certitude et, qu’elle prévienne ou pas, elle est toujours un miracle. Elle vient arracher le doute sur sa possible existence. Non pas que les danseurs croient un moment donné pouvoir échapper à leur sort, ils attendent au contraire ensemble de voir la manière dont ils vont pouvoir se réceptionner, jetant des coups d’œil autour d’eux, tout en étant vifs et fluides, au cas où il percuterait quelque obstacle, anticipant leur chute, bien qu’ils connaissent cette chute, bien qu’ils l’aient expérimentée. Ils redoutent la fin comme quelque chose dont ils connaissent l’existence mais qu’ils ne peuvent prévoir précisément. Bien sûr, on est parfois tellement accompagné, proprement mené, que la chute se fait sans égratignure, qu’on touche le sol sans avoir eut l’impression de l’avoir quitté. On est mort-né, on est un bébé tout propre qui n’a rien vu, qui n’a rien absorbé, rien vomi, et qui meurt. Bien sûr parfois on connaît une œuvre d’un bout à l’autre, pour l’avoir entendue mille fois. Mais dans tous les cas, lors de la fin, on fait l’expérience du présent. La fin interrompt, et cette interruption arrive ici et maintenant. Même l’artiste – qui en théorie décide de l’instant final, son « ici », son « maintenant » – ne semble qu’ouvrir la possibilité d’un « maintenant» et d’un « ici » qui demeurent indéterminés et imprévisibles. Il conceptualise la fin, il la projette, mais il ne la commande pas. La fin trouve son point d’insertion dans l’espace et dans le temps. La fin est un événement qui a lieu.

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2 commentaires sur “Prévenir la fin”

  1. mc Says:

    … ou bien la fin est le non-événement par excellence : quelque chose sans dimensions, sans matérialité, sans force, sans descendance. Seulement déduite d’un avant et d’un après totalement extérieurs à cette fin. La musique, comme d’autres productions humaines, pourrait consister dans l’art et le travail de donner une consistance à cette impalpable idée de fin, à la mettre en scène, de façon minimaliste ou hyperbolique, selon des conventions entendues (dans les deux sens du terme) ou selon des inventions renouvelées. Quand bien même la fin d’une musique consisterait simplement en une interruption due à une coupure de courant ou toute catastrophe grande ou petite, chers auditeurs, « indépendante de notre volonté », les circonstances (qui campent autour, avant et après) se chargeraient de fabriquer un événement de ce non événement, de lui donner un sens, ou autant de sens que de consciences auditrices présentes, de le faire exister dans une « mise en scène » machinée sans volonté de personne, déduite, produite.
    La fin, ce rien entre deux parenthèses.
    ()

  2. jjbirge Says:

    … ou bien c’est une question de posture. Comment l’interprète de 4’33 signifie-t-il qu’on est arrivé au bout de l’œuvre ! Il relâche les épaules, soupir de soulagement non joué, clignement des yeux qui se ferment un très court instant, la fin permet de penser à un nouveau début, ce n’est pas encore la mort, l’annonce d’une résurrection, dans une autre vie, après les applaudissements et la mise en condition nécessaire de ce qui adviendra, ensuite. Pas d’imposture. La fin n’est qu’une convention. Tout se termine, c’est vrai si l’on se réfère à un ensemble complexe de phénomènes qui ne font sens que parce qu’ils sont agencés en forme de vie. C’est faux, si l’on considère les éléments séparés, atomisés, car tout se transforme, rien ne se perd, rien ne se crée. À ne pas confondre avec une interruption. À ce moment du texte, j’ai ouvert le dictionnaire au mot fin


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